Kenneth aurait beaucoup aimé tenir entre ses mains celui qui avait osé dire que rien ne valait l'air du grand large. Il aurait commencé par lui dire que non, le grand large, ça sent le poisson et l'écume, et qu'ajouté aux mouvements des vagues, ça donne la gerbe. Et puis il lui aurait enfoncé sa tête entre les épaules et l'aurait jeté à la mer.

Enfin, il aurait attendu de ne plus être malade pour ça. Car de là où il était, penché contre le bastingage à se vider l'estomac, il n'était pas vraiment en état de régler le compte de qui que ce soit. A croire qu'il n'était décidément pas fait pour les voyages. On avait beau lui arguer que c'était parce qu'il avait trop bu avant de monter à bord, il persistait à croire que son estomac était naturellement antipathique à la houle. Parce que même à l'époque où il ne buvait pas, le peu d'expéditions qu'il avait entreprises lui laissaient souvent en mémoire les relents aigres provoqués par les mouvements du bateau.

Ou alors, dans l'état actuel des choses, il avait vraiment trop bu.

Lorsque son pied toucha terre, il fut à deux doigts de se baisser pour embrasser le sol en louant le ciel de l'avoir conduit sain et sauf - et en un seul morceau - jusqu'à cette contrée qu'il ne connaissait pas encore. Il avait, pour tout dire, saisi une conversation au vol. Entendu dire, de la part d'Arthur, que la nouvelle nation au nord d'Alfred, était sujet de convoitise entre - comme d'habitude - la France et l'Angleterre.

Et en bon et habituel opportuniste qu'il était, il allait encore une fois profiter des conquêtes de son frère pour son propre petit profit. Un endroit pour la pêche, c'était ce qui semblait lui manquer. Ou plutôt, ce qui l'arrangerait. Ce qui lui donnerait une raison de rester plus longtemps que de raison dans ce pays.

Si le climat le lui permettait également. Il frissonna, fort, la chemise collée au corps, le froid s'engouffrant dans le tissu imbibé de sueur et d'humidité. Kenneth avait vu beaucoup de pays froids. Il était allé jusqu'en Islande, sans compter les pays Nordiques qu'il avait visité à coup de pied au derrière.

Mais là, c'était saisissant. Vivifiant disaient les pêcheurs de Cork en se moquant de la fragilité de leur pays. Et sans mot ajouter, ils s'installèrent sur le rivage et entamèrent leur besogne, lançant leurs filets et lignes, patientant calmement en ouvrant un whiskey qui les avaient suivis depuis le Connemara.

L'estomac vide, Kenneth avait décidé de ne pas boire - étrangement. L'inconnu l'intriguait plus que le whiskey ne le tentait. Planté sur ses maigres cannes, il se décida à visiter cet endroit comme le petit touriste qu'il était.

En espérant grandement que le représentant de ces terres ne l'attaquerait pas en pleine ballade.