Le Danois était légèrement agacé. Sensiblement. Juste un peu. Riiiien qu'un tout petit peu.
En fait, non. Ce serait vous mentir que de vous dire qu'il n'était qu'assez peu énervé. En effet, la nation danoise commençait à en avoir sérieusement marre de devoir stagner comme de l'eau dans un barrage où elle serait en cours d'eutrophisation, depuis déjà... une demie-heure. La patience n'est pas danoise, tout le monde le sait bien. Toujours est-il que ces derniers temps, Niels était déjà assez sur les nerfs pour qu'en plus on le fasse attendre. Pour qu'il le fasse attendre. Que pouvait-il bien fabriquer pour pouvoir mettre autant de temps, et surtout, faire attendre LE Danemark. Suicidaire, le Français ? Car il s'agissait bien de France que le Danemark attendait depuis une demi-heure. C'était bien dans l'antichambre du bureau français qu'il commençait à prendre racine. Et jouer à l'imitation du pin ne branchait guère le Danois.

Niels, bras croisés, jambes tout aussi croisées, regard fulminant, fusillait du regard le mobilier style Empire de l'antichambre. L'attente l'obligeait à ruminer et à se remémorer les évènements très peu joyeux de ces derniers temps. Car on peut dire que le XIXème siècle commençait mal, très mal même, pour la nation danoise. Il cumulait les soucis au sein et à l'extérieur du pays, et semblait s'enliser de plus en plus dans un magma d'ennuis tous plus embêtants les uns que les autres. Et comme vous êtes curieux, vous voudrez savoir lesquels. Alors c'est parti pour une petite rétrospective de « Les Malheurs de Danemark ». Et surtout ne faites pas d'analogies avec une série qui pourrait potentiellement et sensiblement avoir le même nom.

Bref, tout avait commencé en 1801. cet imbécile d'Anglais n'avait rien trouvé de mieux à faire que faire joujou avec ses jolies petites fusées et ses gros bombardiers en les faisant tomber sur Copenhague et les navires de la flotte danoise. Autant dire que le Danemark n'avait pas apprécié. Pas le moins du monde. La seule envie qu'il avait eu, c'était de faire empailler cette saleté de teigne de raton laveur et de le donner comme jouet aux chiens. Sincèrement, on ne s'amuse pas à titiller comme ça le Danemark. C'est comme jouer avec le feu. Et en plus de cela, Niels avait déjà des problèmes conjugaux au sein de l'union dano-norvégienne. Le ton montait souvent entre les deux nations. La Norvège reprochait de plus en plus l'égocentrisme exacerbé du Danois et celui-ci ne voulait rien entendre et niait tout en bloc. Et même si le Norvégien l'avait menacé d'une possible alliance à la Suède, il parlait plus qu'il n'agissait. Pour l'instant. N'empêche que ces troubles minaient et irritaient le Danois au plus haut point.
Et tout c'était précipité cette année. Déjà en avril, Angleterre et Russie exigeait qu'il prenne parti pour l'un ou l'autre bloc. C'est cela, oui. Qu'ils aillent se faire voir plutôt ! Pour une fois, le Danois était réticent à la guerre. En même temps, ça n'avait pas le même côté attirant que batailler avec son camarade suédois. Niels bénéficiait encore d'un atout majeur sur les autres, après tout. Il contrôlait encore le détroit de Sund, qui servait de passage entre les deux puissances. Alors qu'ils lui fichent un peu la paix. Le danois était, même s'il refusait de se l'avouer et de le laisser paraître, pour une fois, complètement dépassé par les évènements. Il ne savait plus trop quoi faire, ni où donner de la tête. Il regardait ce qu'il se passait autour de lui sans trop en saisir le sens, comme si une enveloppe opaque englobait le reste du monde. Bien sûr, ces inquiétudes qui trottaient dans sa tête, il les gardait pour lui plutôt que d'en parler et d'accepter l'aide de quelqu'un.
Et cela ne fit qu'empirer. Sept mois plus tard, l'anglais teigneux bombardait de nouveau Copenhague, et mettait la flotte danoise, cette fois-ci, complètement hors service. Les anglais, c'est pire que la peste, plus teigneux qu'un roquet. Mais on ne pouvait nier qu'il avait réussi son coup. Cette fois-ci, le danois ne pouvait vraiment pas continuer à rester neutre. Ça avait même embêté la Russie. Le Russe s'était senti très irrité que l'Anglais s'acharne autant contre le Danemark (pourtant NEUTRE, ça arrive déjà pas souvent, alors comment on peut l'oublier ?!). et surtout que les liens dano-russes, de cette époque du moins, étaient pour le moins... intimes. Bref, après ça, les contacts anglo-russes avaient été rompu, et Danemark en était arrivé là, en ce mois d'octobre, dans l'antichambre du bureau français, pour signer un foutu traité d'alliance. Traité qui ne serait jamais signé si cet imbécile de français ne daignait pas venir ! Niels se leva d'un seul coup, se mettant à faire les cent pas, l'air furibond. Ce rappel de ces dernières années l'avait passablement énervé, plus encore qu'il ne l'était déjà. Il était forcé de mettre les pieds dans un guerre à laquelle on l'avait forcé à prendre part, au risque de se vautrer lamentablement, comme ça avait été le cas lors de la guerre de trente. Quel horrible souvenir À cette pensée, le danois eu l'irrépressible envie de shooter dans le grand vase sur lequel ses yeux s'étaient posés. Il y résista, faisant preuve de la plus grande contenance. Il devait apprendre à se maîtriser et tout irait beaucoup mieux. Mais ça demandait de l'effort et le Danemark est feignant. Mais il est vrai que cette guerre avait été un véritable fiasco pour le danois, qui en gardait toujours un goût amer et dont la fierté avait été gravement touchée.

Il jeta un coup d'œil à sa montre. Ça faisait trois quarts d'heure qu'il était enfermé dans cette foutue antichambre. Voilà un jeu dangereux auquel jouait Francis. Niels pensa, pour la énième fois, que les occidentaux étaient complètement fous.
Niels se laissa de nouveau tomber sur le siège qu'il avait quitter quelques minutes auparavant. Il enfouit sa tête dans ses genoux, au bord de la crise de nerfs. Se calmer. Ne pas tout casser. Se calmer, ne pas tout casser, se contrôler. Se calmer...