Elle était prête depuis des jours. Son sac était bien rangé à côté de son lit, ses papiers bien en vue sur sa table de chevet. Elle regardait chaque soir et chaque matin son calendrier, barrant les jours avec une impatience grandissante. Et cette fois-ci, le jour tant attendu était enfin arrivé. Le 17 mars 2012.

A vrai dire, si on regardait dans son sac, il n'y avait pas grand chose d'utile pour un voyage. Ni de quoi se changer, à peine quelques affaires de toilette, histoire d'avoir un tant soi peu d'hygiène personnelle. Quand on a été boy scout, on sait vite se concentrer à l'essentiel. Mais malgré tout, ce sac était rempli à ras bord. De quoi s'agissait il donc alors ? De cadeau, tout simplement ! La jeune belge était invitée en terre irlandaise, pour vivre sa première vraie Saint Patrick ! Oh, bien sûr elle l'avait déjà vécue de nombreuses fois à Bruxelles, car pour une fêtarde comme elle, il est impensable de ne pas aller boire une Guinness dans l'irish pub du coin en ce jour béni, selon elle. Car oui, tous les jours de fêtes sont des jours bénis pour elle. Donc à peu près chaque jour de l'année si on fait le décompte de ses sorties.

Pour la belge, il est impensable de recevoir et de se faire recevoir sans apporter un petit quelque chose ! C'est pourquoi, elle a choisit avec amour une séléction des meilleures bières belges, ainsi qu'une grosse boite de pralines. La bière et le chocolat ? Le meilleur des mélanges pardi ! C'est donc armée de son sac et de ses papiers qu'elle se dirigea vers l'aéroport.

Le voyage se fit sans encombres, sauf peut être pour la pauvre personne qui se trouva à ses côtés pour le trajet. Armée de son mp3, se passant en boucle des chansons electroniques avec un beat d'enfer, pour de temps en temps passer à des chansons plus celtiques. Elle observait le ciel en bougeant la tête en rythme. Elle s'imaginait déjà danser de manière endiablée, une bière a la main, entourée de plein d'irlandais. Parce que ces gens là, ils savent faire la fête ! Et c'est une qualité qu'elle chérit plus que tout.

Une fois tous les contrôles passés et armée de ses affaires, c'est avec un grand sourire qu'elle se dirigea vers la sortie. L'air frais du mois de mars lui caressait le visage, et elle inspira un grand coup. En cet instant, elle était tout simplement heureuse. Oh, c'est certain, il ne lui fallait pas grand chose. Mais tout de même. Elle prit le bus en direction du centre de Dublin, là où Kenneth devait l'attendre. Elle lui envoya un message pour lui confimer son arrivée, et se mit à déambuler dans les rues de la ville, pour arriver à leur point de rendez vous.

Elle regardait les gens avec le sourire. Même si il était encore tôt, on voyait bien que les gens était prêts à festoyer jusqu'au bout de la nuit. Elle regardait les vitrines, trouvant mille et une petites choses attrayantes. Elle regarda vite fait son reflet dans une vitre, replaçant ses cheveux un tant soi peu mieux. Elle tira sur sa petite robe verte sous son trench, et noua son ruban assorti. Elle se trouvait bien dans cette tenue, achetée spécialement pour l'occasion. Elle se devait d'être habilée de vert pour la tête aux pieds, bien entendu ! Enfin, excepté les pieds. Elle portait de simples talons noirs. Trop de vert tue le vert, ou n'importe quelle autre couleur, par ailleurs.

Doucement, elle s'installa sur un banc, regardant la ville bouger sous ses yeux. Elle en était sûre : cette soirée allait être anthologique.

♪

La Terre irlandaise absorbe la pluie comme
les irlandais absorbent whiskey et bière.
- Proverbe irlandais

Irlande n'avait jamais été quelqu'un de prévoyant. Tant sur les petites choses du quotidien que pour les grandes occasions, il faisait toujours tout au dernier moment - ce qui lui valait souvent de prendre l'avion à la dernière minute, ou de passer ses soirées seul parce que hé ho, c'est pas à 22h qu'on prévient lorsqu'on doit prendre l'avion ou le ferry, espèce d'insulaire de mes deux ; ou même encore de passer ses soirées sans alcool, impensable, parce que se rendre compte à 3h du matin qu'on a plus de whiskey, ça obligeait à se servir un bon verre d'eau, berk.

Aussi lorsqu'il reçu le sms de Belgique, il venait à peine d'ouvrir les yeux, la tête dans les coussins du sofa, encore habillé de la veille. Il lui fallut un petit moment pour capter ce dont il était question - ah oui, une St Patrick home-made. Ah. Ah oui - et une petite expression de panique apparut sur son visage. Non pas qu'il avait oublié, oh non. Il s'y était même prit à l'avance pour une fois, lorsqu'il avait lancé son invitation à plusieurs pleupleus qu'il savait portés sur la bouteille, allez venez à la maison pour le 17 mars, ça sera bien bien bien. C'était juste que, comme toujours, il s'était dit la veille "mais oui, j'aurais le temps d'aller chercher Belgique, pas la peine de stresser du bulbe".

Et comme toujours, il s'était mépris. Et se promettait de ne plus jamais s'écouter lorsqu'il a un coup de trop dans le nez. Mais ça ne marchait jamais cela dit, et tous les jours il se faisait cette même promesse pourtant. Il se décida donc à lui répondre l'affreux mensonge qu'on a tous fait un jour "je suis en route j'arrive", avant de sauter de son sofa et de se précipiter vitesse grand V dans la salle de bain, où il se prépara, comme toujours, à l'arrache. Ce qui lui valait sa réputation de "faussement négligé", avec sa barbe de 3 jours et ses fringues aléatoires - parce que quand on est pressé, une chemise et une hoodie verte avec une veste de costard tartan par dessus donne toujours l'impression d'aller très bien ensemble.

Lorsqu'il sortit enfin de chez lui, il utilisa la feinte suprême via sms : "Sorry, j'ai loupé le bus, je me dépêche à pied". Il n'était pas si loin - deux ou trois petits kilomètres à pied ce n'était rien, et puis il avait l'habitude de la marche - et pendant sa longue marche, il songea à Belgique. Elle était bien la seule à avoir voulu le rejoindre si tôt dans la journée. D'autres allaient suivre sans doute, vu qu'ils avaient répondu à l'affirmative à son invitation - et sans doute le croiser au hasard, hein, les organisations de dernière minute il connaissait, il savait bien qu'il ne verrait sûrement personne d'autre - mais il était au moins sûr de passer la soirée avec quelqu'un. Ce qui lui apparaissait comme agréable, à première vue.

Il en profita pour se remémorer tout ce qu'il avait prévu de faire à cette soirée, en particulier - parce qu'il ne fallait pas oublier qu'à Dublin, la saint Patrick était du 15 au 18 mars, un peu façon mini Oktoberfest, parce que hey, on peut pas trop se permettre seize jours de beuverie quand on est sur la pente savonneuse de la crise, le boche. Après les trois premières choses à faire - boire, manger et boire - il avait prévu d'aller tâter un peu de la chanson, grand musicos qu'il était. Ou peut-être allait-il oublier, parce que la suite de la liste - boire, manger, boire - lui paraissait très intéressante aussi.

Et enfin, il la vit. L'image était jolie, cette charmante damoiselle assise devant la statue O'Connell - car O'Connell street, la plus grande rue de Dublin, lui était apparut comme un bon point de rendez-vous - et qui l'attendait depuis un moment. A qu'il était malpoli de faire patienter une jolie damoiselle.

Il l'aborda alors avec le sourire le plus chaleureux qu'il put - et l'accent le plus irlandais possible.

- Salut beauté, alors on attend son prince ?

Mouvement de crinière rousse et en bataille.

- Allez je t'emmène à un pub pour me faire pardonner.

Car il n'était pas question de se montrer désolé à grand coups de "pardon, j'aurais dû faire gaffe à l'heure". Autant entrer dans le vif du sujet.

- Si t'es d'attaque à te mettre à la bière de suite, j'y vois pas d'inconvénient, même s'il est un peu tôt.

L'horloge sonnait à peine le coup du tea time - 17h et des brouettes aurait-il dit - mais si l'apéro à la francophone se faisait vers 19h, on était des "boit tôt" chez les british - mais pas ceux d'à côté, berk. Et ne jamais boire le café sans whiskey, ce serait un sacrilège. Après tout, c'est sucrer son café aussi. A sa façon.

La blonde attendait donc, les cheveux flottant au vent. Elle sentit son gsm vibrer, et regarda le message. Il était en route. Parfait, l'attente ne devrait pas être longue. Quoique, au final, elle en avait rien à faire. Elle amait bien rester assise sur un banc et regarder les gens passer. C'était même une occupation qui lui prenait beaucoup de temps, à vrai dire. Enfin, tout est relatif. Parce qu'étant donné la météo continentale que son pays abritait, la pluie l'empêchait très souvent de squatter les bancs publics. Elle aimait bien ça, observer les gens. Tous pressés, si pressés qu'ils ne font pas attention à ce qui les entoure. Quel dommage.

Un deuxième message fit son apparition. Elle sourit. Message typique du gars en retard qui veut essayer de faire comme si. Ou alors peut être qu'il avait raté son bus. Elle secoua sa tête. Elle n'allait pas risquer de faire une remarque, c'était pas sympa. Elle leva les yeux vers la statue O'Connell, puis regarda au loin cette grande tour d'acier qui filait vers le ciel. Son regard se pose à nouveau sur les gens qui passaient, et c'est là qu'elle l'aperçu. C'était fou, elle n'avait pas l'habitude de ce genre de personnage. Oh non, il ne faut pas se méprendre. C'est juste qu'à côté des germaniques toujours parfaits jusque dans le moindre des détails, le style "faussement négligé", et bien ça lui changeait. Quoi que Francis était pas mal dans le genre, mais bon, c'est un cas à part.

Elle observa ses vêtements. Quelle étrange association, quoi qu'au final, c'était pas dérangeant. Ca allait bien dans l'esprit du moment de toute manière. Par contre, un détail la choqua. Elle n'avait jamais vraiment fait attention, mais ... il était si maigre ! Le pauvre. Heureusement qu'elle lui a amené une montagne de chocolat, parce que là, ça va pas le faire. Manger est si bon, faut qu'il en profite aussi ! Même si la phrase courante est : une bière deux tartines, ce qui équivaut clairement à : une guinness un pain, ça n'avait pas vraiment l'air de porter ses fruits. En même temps, c'est pas comme si ça marchait pour elle non plus. Vu le taux de cochonneries et d'alcool qu'elle ingurgite, il est étonnant qu'elle n'entre pas en compétition avec la population américaine. Merci le métabolisme.

- Attendais. On dirait qu'il est arrivé à bonne destination.

La jeune fille se leva, prenant son sac d'où l'on pouvait entendre le bruit caractéristique de bouteilles qui s'entrechoquent. Elle lui sortit un magnifique sourire lorsqu'il évoqua le pub, pour ensuite prendre une fausse mine déconfite, qui s'en suivit par un air malicieux.

- Tôt ? Il n'est jamais trop tôt enfin ! Ni trop tard d'ailleurs. J'ai entendu dire qu'un proverbe de chez vous était le suivant : "Bois aujourd'hui pour étancher ta soif de demain". Je suis en retard sur mon planning ! Ca ne va pas du tout !

Elle éclata de rire en disant ça. Ah, elle était vraiment de très bonne humeur aujourd'hui. C'était parfait. Même si il était 17h, pour elle il fallait ajouter une heure en plus. Pas grand chose, certes, mais même. Il n'y a pas d'heure pour l'apéro, ou du moins en Belgique, parmi la jeune population. Il est 10 h ? Bah, c'est l'heure de l'apéro et du saucisson pardi ! Oui, la jeunesse belge en vacances est une totale perte, mais qu'est-ce qu'on se marre !

Elle se demandait si les bars irlandais ressemblaient vraiment à ceux qu'elle avait chez elle. Elle se demandait surtout comment agissait la population locale. Parce que oui, des expats elle en a beaucoup, mais rien ne remplace le fait d'aller voir directement comment ça se passe dans le dit pays.

- j'espère que tu es prêt, car la descente belge n'a rien à envier à celle des autres. Je suis d'attaque pour faire le tour de tout les bars de Dublin.

Elle sourit à nouveau. Comme d'habitude. La blonde sans sourire sur le visage ? C'est qu'il y a un souci. Enfin, elle était prête à suivre le roux dans cette soirée de débauche alcoolisée.

Spoiler:

♪

Le bruit des bouteilles qui s'entrechoquent l'émoustilla presque. On lui aurait demandé ce qui devait toujours plaire à des hommes, il aurait répondu, une bière à la main : "Si je sais ce qui plait aux hommes, mon p'tit ? Ouais. De la boisson, de la bouffe, et des nichons. Ouais ouais. Celui qui a les trois est un homme comblé. Et pas forcément dans le même ordre, hein, juste les trois, en même temps. Ouais je te le dis".

Et ce qu'il savait, c'était que son interlocutrice en avait déjà deux sur trois. Si jamais elle cachait quelconque nourriture dans ses jupons, pour peu qu'il lui ferait la cour, genou à terre, et lui proposerait de payer sa note salée de la Saint Patrick. Oh que oui.

- Tôt ? Il n'est jamais trop tôt enfin ! Ni trop tard d'ailleurs. J'ai entendu dire qu'un proverbe de chez vous était le suivant : "Bois aujourd'hui pour étancher ta soif de demain". Je suis en retard sur mon planning ! Ca ne va pas du tout !

Oh mais c'est qu'elle commençait à lui plaire la petiote.

- Milles excuses my lady, j'admets que je t'ai devancé pour le coup.

La cuite de la veille lui cognait encore contre les tempes.

- J'espère que tu es prêt, car la descente belge n'a rien à envier à celle des autres. Je suis d'attaque pour faire le tour de tout les bars de Dublin.

Le sourire qui illuminait le visage de la belle contamina l'irlandais. En voilà une qui lui plaisait de plus en plus, du moins dans sa façon d'aborder la boisson.

- J'ai donc trouvé un adversaire à ma mesure, ça fait plaisir. Si t'es pas allergique au bruit qui va avec, j'ai même tout un quartier dédié aux bars, et par extension, à cette noble et sacrée Saint Patrick. Maintenant, si tu veux bien me suivre.

En piètre gentleman qu'il était, il ne pensa même pas à lui demander, avec toute sa prestance, "sinon euh, tu veux que je te tienne ton sac, sait-on jamais qu'il soit trop lourd pour tes bras de gueuse". Et il se dirigea vers le centre historique, et vers ce charmant quartier nommé "Temple Bar", puisse celui qui l'avait baptisé reposer en paix.

Sans ménagement, il entra dans le premier pub à sa gauche, salua les quelques poivrots qu'il connaissait et s'installa. Le brouhaha du bar qui se remplit à l'approche imminente de la soirée le força à élever la voix lorsqu'il commanda "Deux pintes de brune, et les s'coue pas trop, c'pas qu'j'aime pas la mousse mais quand même", avant de se tourner vers la blonde et de faire :

- T'aimes la brune au fait ? Ou tu veux attaquer au whiskey ?

Entre la bière et le whiskey, le coeur de l'Irlande balançait encore. C'était toujours un choix difficile. Mais autant commencer doucement, surtout quand on s'est promis de tenir au moins jusqu'à 6h du matin. Et qu'on sait très bien qu'à peu près entre 9h et 5h, on va être torché jusqu'à ne plus s'en souvenir et danser dans les fontaines au son des groupes déchirés eux aussi. Ah, la belle vie.

Parmi ces groupes, certains commençaient dans les bars, et dans le leur, l'ambiance très calme qui régnait jusqu'ici fut rompue lorsque le guitariste entama la mélodie de "The State of Massachusetts". Il était peut-être trop tôt pour réellement apprécier les musiques rythmée et se mettre tous à sauter comme des cons en gueulant, mais les voix s'élevaient déjà pour rejoindre celle du chanteur.

Et un peu que Kenneth allait donner de la voix. Dès qu'il aurait une bière à la main.

Spoiler: