and my boss
won't be happy

Qui n'a jamais éprouvé, en réfléchissant bien, ce besoin indéfinissable d'interrompre la personne en face de soi en tournant les talons, exposant son dos à sa vue - lui laissant une ouverture certes mais affichant clairement son dédain - et rentrer chez soi se vautrer dans la paresse et le luxe d'un foyer confortable ? Oh, il aurait suffit de peu. Une remarque déplacée, une ambiance mortifiante, ou même un vêtement, une odeur, une vision qui déplait. Quelque chose qui, lorsque la forme ou le moral n'est pas là, enfonce un peu plus un poignard dans la sensation désagréable que "Non, ça va pas. Je ne sais pas pourquoi mais laisse-moi tranquille."

Eivind en avait vu d'autres. Non pas qu'il avait toujours eut cette nonchalance dédaigneuse - bien qu'en y regardant de près il l'avait depuis fort longtemps - mais il fallait bien avouer qu'en ce moment précis, son unique envie était d'assener un coup de poing trolliesque dans la porte d'entrée et de s'enfuir à grandes enjambées du musée d'art contemporain d'Oslo. De quitter cette foule, d'aller se recroqueviller sur son sofa en mode huître qui referme violemment sa coquille à chaque visiteur qui passe.

Non pas qu'il détestait cet endroit, ou même sa propre population. Mais il y avait décemment trop de personne pour qu'il ait une attitude correcte et digne de son niveau de civilité.

Techniquement parlant, la nation viking, la nation qui avait voyagé, traversé les mers, colonisé d'autres nations, implanté sa culture ailleurs, terrorisé certains de par sa puissance ; cette même nation, qui avait toujours était plus ou moins timide, avait à présent la peur presque panique d'apparaître en public. Et ce, bien qu'il le dissimulait avec maestria.

C'était la raison pour laquelle, habillé très chic pour l'occasion, Eivind déambulait dans les galeries, les mains croisées derrière le dos, l'air aussi austère qu'une porte de prison, stoïque, rigide, et se sentant psychologiquement tel un chaton effarouché au milieu d'une meute de loup affamés.

Alors, bien que fort intéressé par l'Art japonais que son boss avait tant tenu à présenter dans les galeries, à côté des œuvres locales habituelles - "il faut entretenir les relations nippo-norvégiennes au travers des différents secteurs, ici, l'Art avec un grand "A", vous comprenez bien sûr ?" - la foule nordique qui s'amassait devant ces "bizarreries" venus d'Orient le rebutait à chaque tentative, retournant à sa marche lugubre et fantomatique.

Et puis, il y eut cette œuvre. Le genre qui n'intéresse personne. Celle devant laquelle tout le monde passe sans s'arrêter pour admirer, ayant peut-être des œuvres plus originales, plus spectaculaires en ligne de mire. Cette œuvre l'attira d'une certaine façon. Pas comme un Munch, pas comme un Klimt, devant lesquels le nombre de personne l'entourant importait peu. Mais comme justement un échappatoire à cette foule, tout en restant dans l'enceinte du bâtiment, ne faillant pas à sa tâche de nation.

Après tout, cet artiste - dont le nom était imprononçable pour le norvégien qu'il était, du moins imprononçable correctement - méritait autant d'attention que ses confrères. Alors il croisa les bras, posa sa main sur sa bouche d'un air observateur, et chercha intensément la raison qui avait poussé une quelconque personne à assassiner une pauvre toile à coups de pinceaux imbibés de peinture acrylique bon marché.