Quand il s’était levé ce matin-là, Matthew avait, comme de coutume, pris le chemin de sa cuisine, où il s’était préparé un copieux petit-déjeuner à base de sucre, de sucre, et encore de sucre. En bref : un lait au miel avec des pancakes au sirop d’érable. Classique. Pendant que le lait chauffait dans le micro-ondes, la Nation s’était dirigée vers la porte d’entrée, pour sortir chercher son courrier. Il avait reçu une carte postale d’Alfred, qui lui racontait (avec tellement d’enthousiasme que le stylo avait presque transpercé la cartoline par endroit) ses vacances, la fin de la Guerre Froide et la joie d’être Américain. Rien de bien nouveau, mais Matthew lu la carte en entier : il était toujours bon de savoir que quelqu’un pensait à lui, même si c’était une relation à sens unique, comme celle qu’il entretenait avec son frère.

Il posa la carte sur la table et ouvrit le journal : il aimait le livre en mangeant, évitant ainsi l’affreux sentiment de solitude que lui renvoyait l’attitude de Kumajirou. Plantant sa fourchette dans un morceau de pancake qu’il porta à sa bouche, il consulta les gros-titres pendant que l’ourson s’installait à table. « L’UKRAINE DECLARE SON INDEPENDANCE » titrait le quotidien Canadien. Un sourire s’étira sur les lèvres de Matthew : une nouvelle amie ! En voilà une bonne nouvelle. La fin de la Guerre Froide n’avait décidément que du bon. Il dévora l’article et abandonna-là le journal, le temps de finir son repas. Il avait un meeting international le jour-même dans son beau pays, et l’Ukraine viendrait ! Une occasion formidable pour féliciter le pays et lui proposer son appui sur la scène mondiale. Restait à espérer que la Nation pourrait, elle, le voir…

Le Canadien alla couper un peu de bois pour le soir, quand il rentrerait et troqua ensuite sa chemise noire et rouge à carreaux contre son uniforme d’aviateur, tellement plus crédible lors des réunions avec les autres pays. Sûr que, s’il changeait de style vestimentaire, aucun d’entre-eux ne le reconnaitrait, pas même Alfred ! Il prit son journal (il en finirait la lecture pendant le trajet) et monta dans sa voiture. Il conduisit prudemment jusque Vancouver, veillant à ce que Kumajirou ne retire pas sa ceinture en chemin, puis il se gara dans le parking souterrain et, tout excité par la bonne nouvelle qu’il venait d’apprendre, monta quatre à quatre les marches qui menait à la salle de réunion. Il était le premier arrivé (pas vraiment surprenant) et surtout, il serait le premier à saluer l’Indépendance Ukrainienne. De quoi rendre Matthew très heureux. Il aimait la paix, il aimait que les gens vivent en harmonie et, de fait, adorait les indépendances. Une fois déclarées, il était difficile de les nier, ou de déclencher une nouvelle guerre.

Comme les autres n’allaient pas tarder à arriver, Matthew s’installa à sa place, devant la petite pancarte indiquant la mention « Canada ». Kumajirou arpentait la salle d’un air perdu, et Matthew voulu le rappeler pour qu’il vienne sur ses genoux, quand il se rendit compte que le nom du petit animal lui échappait toujours. Résigné, il croisa ses bras sur la table et cala sa tête dans le creux qu’ils formaient, noyant son désespoir et son impatience dans le moelleux des manches de son épais blouson. Les autres n’allaient pas tarder…

Matthew, perdu dans ses pensées, n’avait même pas remarqué l’arrivée de Katioucha. Il ruminait dans son coin, malheureux, inquiet et désolé de voir que Kujimarou, bien que son colocataire, lui soit toujours aussi étranger. Il en aurait pleuré de désespoir s’il ne s’était pas sentit aussi bête, et s’il n’avait pas attendu l’arrivée d’Ukraine pour la féliciter. Il soupira un peu et enfouit plus profondément son visage dans ses manches, espérant étouffer le sentiment de honte qui venait se mêler à ceux, déjà nombreux, qui l’habitaient. Avec un peu de chance, il disparaîtrait encore et personne ne le remarquerait. Personne ne penserait à lui et Alfred le remplacerait, puisque la ressemblance était si frappante… L’ourson n’avait aucun problème avec l’Amérique, bien au contraire. Il ferait d’une pierre deux coups : tout le monde serait content. C’est à ce moment-là, quand Matthew s’apprêtait à redevenir invisible, que Katioucha s’approcha et posa sa main sur son épaule pour le secouer doucement.

Matthew, surpris, releva la tête : ne l’avait-elle pas appelé « Monsieur Canada » ? Enthousiasmé, le jeune homme se leva et lui tendit la main pour une salutation des plus diplomatiques. Ukraine était-là ! Et de plus, elle savait même qui il était ! Finalement, mieux valait ne pas disparaître… Faisant de gros efforts pour rester visible, Matthew, malgré son petit filet de voix, prit la parole.

-B-Bonjour Mademoiselle Ukraine. Toutes mes félicitations pour votre Indépendance ! Si vous avez besoin de quoique ce soit… C’est souvent difficile, quand on débute au niveau mondial.

En vérité, ce n’était pas seulement difficile au commencement, mais Canada ne se sentait pas d’humeur à décourager la jeune nation. Ses discours pessimistes, il les réservait à son frère qui, lui, en avait grand besoin pour tempérer ses ardeurs. Comme il commençait à être peu moins flou pour le reste du monde, Kujimarou s’approcha et vint se caler devant ses jambes. Automatiquement, Matthew posa ses mains sur le haut du crâne du petit animal, entreprenant de le caresser tout en discutant.

-Vous pourrez profiter de la réunion d’aujourd’hui pour vous mettre en avant, les autres nations ne seront pas indifférentes…

En fait, il songeait plus à la venue d’une nouvelle Nation, et pas au physique (pourtant très avantageux) de Katioucha. Il rougit un peu, mais comme tout gentleman, ses pensées étaient les plus pures qui soient (faut pas se faire de fausses idées). Il remarqua le regard de la jeune nation à l’ours, et lui adressa un sourire encourageant.

-Il est très gentil, si vous voulez jouer avec lui, il ne vous fera pas de mal !

Poussant discrètement la petite créature vers Ukraine, il pria intérieurement pour que Kujimarou ne fasse pas d’histoire. Fort heureusement, l’ourson accepta d’esquisser un pas timide vers elle : sans doute avait-elle l’air plus vivante que son maître…

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