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Les mains dans les poches, Hoi Dung ouvrit la porte de la salle 209 d'un coup de pied nonchalant. Quelle barbe, être de corvée de nettoyage... Et ce n'était même pas à cause du cours de sciences où il avait laissé Emil patauger avec ses instruments chirurgicaux dans les liquides viscérales d'un innocent batracien. Non, d'habitude, il aimait bien les cours de biol'.

Avant son entrée au collège pourtant, il n'était pas vraiment curieux de comprendre le fonctionnement de la digestion ou les mécanismes du vol d'un moineau écervelé.
Tout a changé le jour où il s'était perdu dans un coin de la forêt. C'était après une fête de fin d'année, en compagnie des membres de sa famille. Comme il s'ennuyait (son cousin coréen s'était trop vite endormie à cause de l'alcool), il décida de rentrer seul. Grâce à son sens de l'orientation affuté, il se perdit au milieu des bois. En cherchant son chemin, il est finalement arrivé au pied d'une petite cascade qui brillait sous la la lune. Il s'y reposa un moment, loin du chahut de la fête.

Il allait continuer à longer la rivière qui conduisait au chemin habituel lorsqu'il aperçut des galets qui bougeaient dans l'eau. Curieux, Hoi Dung s'approcha et discnera deux petites grenouilles. Elles n'étaient pas des plus jolies, la peau rugeuse, certes, moins que celle d'un crapeau mais tout de même, et d'une couleur verte-algue foncée. Deux billes parfaitement rondes et noires scrutaient l'environnement sombre du cours d'eau.

Photo et commentaire pédant de la bête

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Jusque là, le collégien n'était pas plus impressionné que cela. Non, c'était lorsque les deux bestioles, pas plus grandes qu'une balle de ping-pong commencèrent à remonter la rivière. D'un saut, elles s'accrochèrent à la paroi verticale et malgré le courant, y restèrent accrochée. Mieux encore, peut-être galvanisée par la pleine lune, les deux créatures se mirent à remonter la cascade ! Jamais il n'avait entendu parler d'un tel comportement. Fasciné comme un enfant, il ne remarqua pas son grand frère le rejoindre.

« C'est une grenouille rare. Je crois qu'on n'en trouve que par ici. Tu as de la chance A-Hoi ! »

Le garçon ne lui répondit pas et Yao continua :

« C'est une espèce qui cherche refuge sous les cascades. Peut-être qu'elles sont sur le point de pondre ! »

Toujours aucune réponse. Le grand frère soupira, mais sourit. Même si le garçon avait l'air concentré sur ses sujets, Yao le connaissait suffisamment pour savoir qu'il l'avait écouté. Cette soudaine curiosité par rapport à de si petites bêtes l'émouvait.
Et c'est depuis cette soirée qu'il commença à s'intéresser aux animaux sauvages et à l'environnement en général. Lui qui allait se trouver un coin tranquille sous un arbre pendant que les autres élèves se démenaient à remplir leur herbier commença à être plus attentif, mais aussi plus actif en classe de sciences naturelles. Toutefois, c'était loin d'être devenu sa passion, mais il remonta sa moyenne et ne dormait plus en classe.

Le soleil allait bientôt se coucher. Une lumière orangée traversait les stores paralysés de la salle 209. Hoi Dung fit quelque pas pour scruter son lieu de pénitence. Elle ressemblait trait pour trait à n'importe quelle autre salle de biologie, mais les odeurs en plus persistantes et la poussière plus généreuse. Quelques bocaux avec des contenus morbides trônaient avec orgueil sur le bureau du professeur. Le jeune homme sortit une boulette blanche de sa poche. Il déplia – ou plutôt défroissa – le papier de convocation. Le directeur y avait inscrit les lignes « absences » et « moyenne en cours d'histoire en chute libre », ainsi que « corvée de nettoyage en salle 209 avec Emil Steilsson ».

Ouaip, c'était même pas à cause du cours de bio. Non, tout ça parce qu'il n'avait pas arrêté de sécher ces cours d'histoire aussi boueux qu'inutiles. C'est vrai, pourquoi ne pas se contenter de vivre avec ce que l'on a ? A quoi ça sert de se lamenter sur ce qui s'était passé ? Et comme pour appliquer sa philosophie, il se laissa tomber sur le premier tabouret de la salle poussiéreuse, juste à côté du bureau du maître.
Tout était calme, la plupart des élèves étaient déjà rentrés et ceux qui restaient étaient en plein milieu du dernier cours de l'après-midi.

« Faudrait quand même qu'on lève les stores... »

Il s'exécuta rapidement. Le mécanisme était parfois un peu rouillé, mais il céda sous la force tranquille du Chinois. Maintenant, la salle semblait moins fantômatique et paraissait même presque accueillante. Hoi Dung ferma la porte pour être plus tranquille et retourna se mettre sur son tabouret, puis prit l'heure sur son poignet.

« Qu'est-ce qu'Emil fabrique ? ... Ah, j'crois que j'ai oublié de lui rendre le plan que je lui avais emprunté... »

Pas de 'blèmes, mon gars, j'vais t'envoyer un texto vite fait. L'Asiatique tira habilement hors de son sac à bandoulière un portable ultra-looké, le dernier cri en Asie. Tellement tendance que la coque était vert acidulé. Un panda qui tenait une conserve de pousses de bambou avec un air gourmand pendouillait joyeusement en bas du pavé. Un cadeau de Mei. Tap, tap, tap, clic, clic, tap.

La salle en question se trouve au deuxième étage, 209.
Hoi.

Envoyé. Son portable bipa aussitôt, mais ce n'était pas Emil, mais Mei (quand on parle du loup !).

« J'peux bien lui répondre, il traîne l'Islandais ! ~ »

Tap, tap, tap, clic, clic, tap. Envoyé. Bzzz. Lecture de la réponse. Retap, reclic, retap, envoyé. Cette histoire finissait en chat. Mei semblait s'ennyuer à son dernier cours, une classe en dessous, à la physique. « C tro facil » disait-elle. Hoi Dung allait lui répondre encore une fois quand Emil apparut à l'entrée de la classe. Il avait l'air calme en apparence, mais son ton trahissait son énervement :

« Me voilà à présent. Commençons le nettoyage. Plus vite il sera terminé, plus vite on pourra vaquer à autre chose. »

Emil se dirigea directement vers la première armoire, genre celle où on devrait pouvoir trouver ddu matériel de nettoyage. Le Chinois ignorait la présence de son camarade, occupé à répondre à sa soeur. Lorsqu'il cliqua sur le bouton d'envoi, il entendit un grand vacarme.
Emil toussait bruyamment à mesure que les particules fines s'envolaient dans les airs.
Hoi Dung fit pivoter son tabouret d'un coup précis vers le nuage de poussière. Il leva tranquillement les yeux vers le malheureux. Après une courte pause – qu'on pourrait prendre pour de l'hésitation s'il n'affichait pas constamment cet air blasé – il lui dit :

« Tu sais que t'as un rachis lombaire coincé dans tes cheveux ? »

Puis retourna pianoter un autre SMS, décidément peu motivé à la tâche. Les dernières vapeurs sèches ne purent bientôt plus l'air totalement désarçonné d'Emil. Le Chinois sentait que son camarade le fusillait du regard, mais ne marqua aucune réaction. Le clapotis des touches de plastique devenait de plus en plus insupportable, et Emil confisqua l'appareil d'un coup sec.

A peine surpris, Hoi Dung lui dit avec un faux ton de protestation :

« It's mine.Si tu voulais passer un coup de fil à Dan' »
(Depuis quand il appelait le grand frère d'Emil par son surnom ?!)

Le Chinois avait gardé cette étrange habitude de parler à moitié en anglais à cause d'Arthur qui s'occupait de lui lorsqu'il était encore petit. Cela avait le don particulier d'énerver Yao, tandis que Im Song trouvait ça totalement cool.
Pensant qu'il avait largement abusé de son camarade, il se leva d'un bond et s'étira :

« 'k, keep cool man. J'vais t'aider, t'inquiètes. J'ai pas particulièrement envie de me retrouver dans ces bocaux à force de rester ici... »

Répondit-il en indiquant les verres de formol du regard. Il enjamba le tas d'ossement et sortit deux torchons (qui a eu l'idée de mettre le squelette dans le placard à balai quand même ?). Il en lança un à son camarade comme l'aurait fait un prof d'arts martiaux avec une arme blanche.

« On commence ? »

Etait-ce la fatigue ou cette lumière de fin de journée ? Car Hong Kong semblait avoir esquisser un sourire, chose qu'il fait très rarement. Ce garçon était cependant loin d'être froid et négligent. Lorsqu'on le connaissait bien, on découvre qu'il peut être une personne attentionnée, intelligente et même chaleureuse. Mais il faut bien avouer que l'Islandais doute encore de la sincérité et de la motivation de son camarade qui n'a eu aucun remords à l'abandonner en cours de biologie ce matin. Remarquant qu'Emil le fixait, Hoi Dung lui dit :

« Mmh ? J'ai quelque chose sur le visage ? Ah...»

Sans lui laisser le temps de répondre, il se retourna pour prendre un seau et un liquide de nettoyage.

« ... tu pensais qu'on allait nettoyer cette salle à sec ? J'ai trouvé de quoi rendre la tâche plus aisée ! »

Et il posa le récipient dans l'évier marron, appuya sur la bouteille en plastique et tourna le robinet.
L'eau faisait un bruit d'enfer et à mesure que le conteneur se remplissait, une odeur de citron chimique envahissa la classe.

 « Je me demandais, tu n'étais pas bien ce matin ? Tu étais venu à l'infirmerie, mais tu es reparti aussitôt ? »