Il courait dans les couloirs. Lui qui préférait suivre les régles – du moins celle de l’école – se retrouvait à courir comme un gamin pour alléger son retard de quelques minutes au moins. Les arabes sont connus pour être de fins retardataires, comme si leur pendule était destinée à être éternellement en retard d’une bonne demi-heure. Voire plus. Là, ça dépendait entièrement des Nations. Alexander, lui, avait pourtant toujours voulu aller au-delà de cette malédiction et le fait qu’il ne était pas encore dans la salle lui donnait très peu envie d’y entrer. Certes, il ne se considérait pas assez important pour qu’on fasse attention à lui mais on devinerait son retard au moment même où il commencerait à préparer ses pâtisseries mielleuses alors que d’autres se serviraient déjà du four.

Il fit de son mieux pour pousser la porte le plus légèrement du monde, alors que l’odeur de la farine, des œufs et du sucre le frappait déjà. Un pas. Deux pas. Et voilà, il était entré. Il n’avait pas ressenti une telle sensation de soulagement (?) depuis qu’il s’était débarrassé du joug français. Ou pas. Il regarda autour de lui, un peu comme on regarde un terrain ennemi miné et rempli de pièges à éviter. Sauf que des pièges… la pièce en était bourrée.

Une seconde suffit pour qu’il reconnaisse immédiatement les longs cheveux de Françis. Ce coureur de jupons insolent était donc là. Il laissait échapper un soupir agacé, bien que la présence du français ne le dérangeait pas plus que ça. Mais à part lui… il avait du mal à se retrouver parmi tant de têtes. Autant dire qu’il avait l’étrange et étouffante sensation de revenir au premier jour d’école, quand on ne connaît personne et que tout le monde se connaît. Il n’avait plus qu’une envie : s’enfuir. Mais son orgueil ne le lui permettait pas. Ce serait non seulement une insulte envers lui-même mais il n’oserait plus jamais les regarder dans les yeux.

Il prit une grande inspiration et fit un pas vers les plans de travail. Ne pas parler avec eux, c’était OK mais il n’était pas question de ne pas travailler. Quand il s’agissait de faire un travail qu’il aimait, il était bien capable de mettre de côté sa paresse. Il passa à côté de trois étranges personnages. Un asiatique qu’il ne reconnut absolument pas, même après trois longues secondes de contemplation – de toutes manières, ces gens-là se ressemblent tous. Une jeune femme dont le « comportement » choqua le traditionaliste en lui. Etait-il vraiment normal de laisser un être de sexe féminin, portant une jupe dont la longueur ferait faire un arrêt cardiaque à tout tunisien de l’ancienne génération, s’asseoir ainsi ? Il fut à deux doigts de le lui faire remarquer mais quelque chose le retient. La casserole, sans doute. Cette chose-là ne pouvait plus servir à cuisinier… Et le dernier était un grand homme bronzé, musclé dont la vue rappela finalement au jeune homme qu’il était impoli de fixer les autres et qu’il devait se mettre à travailler. Il les salua brièvement et installa son matériel, plus perplexe que jamais.

Pourquoi donc les Nations étaient-elles aussi différents les unes aux autres et aussi semblables en même temps ? La question lui parut trop compliquée pour qu’il y abandonne quelques minutes de son temps. Il devait surtout penser à ce qu’il pouvait cuisiner. Il n’avait pas du tout pensé à ça avant de décider de participer à la préparation des gâteaux. Il s’était juste dit qu’il allait faire quelque chose qui rapporterait et qu’il aimerait. Comme toujours.