Une rencontre n'est
que le heurt de
deux êtres
errants.

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Parfois, lorsqu'il partait en quête de nouvelles contrées, Eivind observait attentivement son souverain. Le personnage en imposait. Grand, droit, taillé pour le combat. Mais ce qui faisait sa renommée n'était autre que cette immense chevelure blonde, virevoltant au vent comme un voile doré. Selon la houle, les mèches sablées prenaient une ondulation improbable, comme défiant les lois de la gravité, sous l'œil transcendé de la jeune Norvège. Harald à la Belle Chevelure était beau, puissant, et promettait, hache en main et regard posé sur l'horizon, d'unifier la jeune nation qu'était la Norvège.

Mais Harald était un tyran. Dur dans ses principes, il savait ce qu'il fallait à la Norvège pour être une puissante nation, et faisait le nécessaire. Un douloureux nécessaire. On dit souvent qu'il faut souffrir pour obtenir ce que l'on veut. Mais Eivind était-il vraiment prêt à endurer tout ça pour être digne du nom viking ? S'il le fallait, il ferait des sacrifices. C'était bien là l'esprit nordique.

Alors Eivind avait détesté ceux qui l'avaient fui. Qui avaient prétexté la tyrannie d'Harald pour aller se réfugier loin de lui, en Irlande, en Écosse. Dans d'autres contrées inexplorées. Était-ce ce qui l'avait motivé à partir en quête de celles-ci ? Lorsqu'il entendait qu'une île plus au Nord avait accueilli quelques uns de son peuple ? Il avait voulu en savoir plus. Découvrir cette nation qui semblait mieux que lui.

La neige redoublait alors qu'il posait pied à terre. La mer semblait trop agitée pour se glacer, formant quelques plaques translucides bien fragiles sur la berge, mais la vue de cette île enneigée lui rappela les grandes contrées immaculées qu'il venait de quitter. Son cœur se serra à cette simple idée, bien que son visage ne trahissait aucune émotion.

Eivind n'était pas un démonstratif, même sur le champ de bataille. Pas un son, pas une expression alors que les têtes tombaient et les corps s'affaissaient. Peut-être était-ce dû à son assurance naturelle. Peut-être pas.

Aussi, lorsqu'en avançant un peu plus sur cette île enneigée, sa jambe se heurta à un corps frêle, il ne parut pas surpris ni même désolé le moins du monde. Il se contenta de sortir de ses rêveries, baissant la tête vers la petite silhouette blonde qu'il venait de faire trébucher. Un silence passa, calmement. Puis il se pencha, tout aussi calmement, comme si rien de tout ça n'était arrivé, et demanda, d'une voix de pré-adolescent bien frêle mais posée :

- Qui es-tu ?

Il l'avait sentie. Cette aura, ce petit quelque chose en plus qui fait qu'une nation reconnait tout de suite une autre nation. Et il savait qu'il avait en face de lui la représentation des îles qu'il foulait du pied comme un envahisseur sans vergogne.

Depuis combien de temps ? Depuis combien de temps les hommes avaient ils prit place sur cette île ? Quand était arrivé le premier moine Irlandais, un peu défroqué par son voyage maritime, chez elle ? Quand était arrivé le premier exilé, dans cet enfer humide qu’était l’archipel ? Cet homme qui avait préféré endurer les rudes hivers de l’atlantique à la tyrannie d’Harald à la Belle Chevelure ? Elle ne le savait pas. Elle ne savait pas lequel des deux évènements marquait le début de son Histoire. Et en fait….elle s’en fichait un peu.


Depuis combien de temps attendait elle inconsciemment ? Sans doute depuis sa naissance, date inconnue pour elle, et qui ne lui importait guère. Pour l’instant, ses principales préoccupations consistaient à trainer autour des maisons des exilés, volontaires ou non, à poursuivre les animaux qui feraient plus tard son identité, afin de plonger sa tête dans leur laine chaude et crasseuse. Des moutons.


Mais ce matin là, elle s’était levé avec un gout bizarre dans la bouche, comme si quelque chose d’important allait se produire. Alors elle s’était levée de son lit, sans manger, et était partie voir la mère qui l’attirait toujours autant qu’elle l’effrayait. Elle resta une bonne heure à fixer les vagues, puis se résolut à rentrer chez elle, ses pas faisant craquer la neige sous elle. Puis elle s’immobilisa, tiquant sur un objet de son environnement et se mit à courir après un macareux, ce dernier s’enfuyant en dandinant, peu enclin à finir dans une casserole, sans même être sublimé par une sauce décente.

Alors que le petit animal s’apprêtait à prendre maladroitement son envol, se mettant ainsi hors de portée des mains (et plus tard de la cuillère), la petite fille chuta, l’allonge supplémentaire apportée par sa position horizontale lui suffisant pour se saisir du frêle volatile, qui couina. Se relevant de la neige qui resta accrochée à ses vêtements et son visage, elle se tourna vers l’inconnu qui l’avait fait tomber. Un jeune homme blond aux yeux bleus, avec une croix dans les cheveux, et une mèche folle qui s’entortillait à son extrémité, exactement comme la sienne. Sans émotion, sans s’excuser, il se pencha vers elle avant de la questionner :

« Qui es-tu ? »

Elle fronça les sourcils, devant l’aura qui émanait du jeune homme. Elle le sentait différent de ceux qui vivaient avec elle, en fait chez elle. Elle était bien jeune, et avait déjà à faire avec une invasion, aussi limitée soit-elle. Elle afficha une mine boudeuse et essaya de répondre à cette question : qui était elle ? On ne lui avait jamais posé la question auparavant, elle ne s’était jamais interrogée d’elle même dessus. Mais qu’est ce qui pouvait bien le définir ? Des îles…et des moutons…

Elle ouvrit la bouche, s’exprimant avec difficulté, comme si elle utilisait sa langue pour la première fois.

« Føroyar. »

Elle le fixa un instant avec sa moue toujours aussi peu accueillante, puis serra contre elle la volaille qui ne cessait de se débattre, peu résignée à finir à la marmite. Elle se dressa sur la pointe des pieds pour le regarder de plus près, le reniflant comme s’il s’agissait d’un animal étrange.

« Qui es-tu ? »répétât elle, avec son accent océanique, cherchant à savoir qui il était. Elle fit un effort supplémentaire, et réussit à baragouiner, tout en désignant de la tête tout ce qui était autour d'elle :

« Chez moi. »

Elle n'y connaissait rien en relation avec les autres pays, elle n'y connaissait rien en relation tout court, mais elle connaissait un minimum son chez soi.

En ce temps là, la Norvège était un barbare. Un pur et dur. Celui qui inspirait la terreur, celui qui rasait des villages entiers, celui qui faisait tomber plus de têtes au combat qu'il n'en voyait sur les épaules de ses assaillants, ce n'était ni Danemark ni Suède. C'était bien lui, la terreur viking. C'était bien lui qui faisait trembler ses ennemis, qui inspirerait les contes vikings - bon d'accord, Danemark et Suède aussi, mais moins... un peu moins. Chut. - en d'autre termes, jamais il n'aurait pu être impressionné le moins du monde par autre chose que son tyran de patron.

Et pourtant, face à cette enfant, il se trouvait bien perplexe. Impressionné aurait été un grand mot, mais effaré semblait tout à fait approprié. Bien que physiquement parlant, son expression se résume au néant total. Føroyar. En tout cas, elle n'avait pas l'air aimable. L'air typiquement norvégien ou bien la joie immense de voir un viking sur ses terres ?

Et puis il y eu ce moment. Cet instant de lucidité méprisante, d'incompréhension aussi peut-être. Son peuple l'avait abandonné pour ça. Pour cette petite archipel encore trop frêle, trop jeune pour écoper du titre de nation. Pour les autres, il aurait compris. Mais pas pour cet ersatz de nation.

Alors, le troll souleva la gamine de terre pour qu'il puisse la voir un peu mieux, lui faisant lâcher le macareux. La Norvège était un être cérébral, du moins se définissait-il ainsi. Jamais de mouvement inutile, jamais de geste qui n'aurait pu être exécuté par son fidèle allié féerique. Ce qui ne voulait pas forcément dire que le troll était violent là où la Norvège était calme et posé.

- ... Norge, se contenta-t-il de répondre d'une voix morne, plus intéressé par la gamine qu'il scrutait que par la conversation.

S'il s'était attendu à ça. Même pas capable de se défendre. Lui qui pensait arriver sur une île gouvernée par une nation puissante qui lui donnerait plus de fil à retordre que tous les bambins qu'il avait croisés jusqu'ici. Il était presque déçu.

Et si...

- ... tu es un pays vassal ?

Encore fallait-il qu'elle sache de quoi il parlait. Et quand bien même elle appartenait déjà à quelqu'un... cela ne l'empêcherait pas de l'embarquer. La conquête de nouveaux territoires, ça, la Norvège adorait. Ca agrandissait la famille. Et même s'il semblait strict et sévère... ça ne l'empêchait pas d'apprécier un peu tout le monde.

Et puis oh. La récupérer, ça lui enlevait justement le problème de "mon peuple va ailleurs, quoi je fais ?". Une pierre deux coups.

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