Encore une erreur. Encore une autre.
A un tel niveau, ce n'était même plus risible. Pas même lassant. C'était tout simplement et bêtement regrettable. C'était triste aussi, de voir ces corps s'amonceler, ces cadavres s'empiler les uns au dessus des autres. De la même manière qu'il était triste de voir ces larmes, ces rancœurs faussement naissantes et ces regards de façades. Certains se cachaient derrière les pleurs, d'autres derrière la neutralité, le désintérêt, voire le cynisme.
Quelle que fut l'origine du masque de chacun, il n'en restait pas moins que cette mascarade était regrettable. Et que cette tragédie tournaient plus à la risible série Z qu'à autre chose.

Pourtant, la scène se déroulant sous ses yeux n'avait rien de risible. Mais il ne pouvait réagir. Il était comme ça.
L'hécatombe que subissait leurs rangs semblaient tous les rendre fous. Ils perdaient la raison en même temps que le sens des limites.
Kiku pouvait comprendre la douleur de Ludwig, il avait expérimenté la même la veille à peine. Mais le comportement de l'Allemand l'écœurait jusqu'à la nausée, à lui qui, en public, n'avait exprimé qu'un vague désarroi à l'annonce de la mort de Yao.

Assis comme beaucoup, il laissait les événements se dérouler, aller et venir. A quoi cela servirait-il de s'opposer ? D'intervenir ? On ne l'écouterait sans doute pas et la seule chose qu'il y gagnerait serait une encore plus grande méfiance de la part des quelques autres membres survivants – car il fallait bien parler de survivants à présent que leurs nombres était si réduit.

Il écouta à peine l'échange entre les germaniques. Ni les tirades, ni les exclamations ou les questions n'arrivaient à se frayer de place assez grande pour titiller son intérêt. Kiku ne savait pas qui voter maintenant. La plupart des voix – c'est à dire pas beaucoup vu le nombre de personnes réunit – semblaient aller soit à Ivan, soit à Elizaveta. Et il n'avait envie de voter ni pour l'un ni pour l'autre. Pas d'explications à fournir, il n'avait juste vraiment pas envie.
La logique ensuite aurait été que le Japonais appuie une voix contre Ravelyn. Depuis le début, le Gallois semblait avoir quelque chose contre lui et s'appliquait à creuser sa tombe à chaque tour de vote, discrètement et pernicieusement, sans jamais donner d'explications. Et puis, il trouvait étrange que Gilbert soit mort juste après le frère du Sylphe, alors que ce dernier avait manifesté une haine toute particulière envers Ludwig la nuit d'avant, suivit d'une menace masquée qui s'était accomplie.

Il hésita jusqu'au dernier moment à s'abstenir. Surtout qu'il serait fort étonnant qu'un vote contre Ravelyn serve à quelques chose en l'état actuel des choses. Mais dés que le silence retomba dans la salle, le nom se fit entendre.

- Ravelyn.

Il lâcha sa vague explication, simplement, avant de retomber dans son mutisme.

Il n‘y avait plus de mots pour dire à quel point le gallois était anéanti. Il s’était prit à douter de son propre frère, lui faisant l’amour tout en pointant un revolver sur son front. À la fois égoïste et chagriné, Ravelyn avait douté de Lysander, poussé par la méfiance des autres. Et le reconnaître lui prenait à la gorge.

Un remord qui l’étranglait, d’autant plus que Lysander n’avait rien à voir avec cette histoire de KGB, il n’avait pas les mains blanches, certes, mais elles étaient couvertes d’un sang ennemi, pour une cause juste aux yeux de la mafia… Une perte inutile pour les membres, un chaos déterminé pour Ravelyn.

Ludwig avait dressé cette haine contre le rouquin, alors que c’était son propre frère, Gilbert, qui portait le titre de traître. Le sylphe en tremblait de rage, il en tremblait de colère tout en sachant qu’exprimer son chagrin ne ferait jamais revenir son unique famille.

Il avait assisté à la mort de son frère, laissant Elizaveta le tuer. Ravelyn lui avait tenu la main, comme un mari le ferait pendant que sa femme accouchait de leur premier enfant. Mais Ravelyn lui, avait soutenu son frère lors de son passage vers l’autre monde, laissait le sang s’échapper de sa boîte crânienne. C’était un cadeau tout aussi beau après tout… Un mafieux ne connaît pas la différence entre la vie et la mort. Il s’agissait de synonymes…

Ravelyn, broyant du noir, avait attendu toute la nuit avant que le prochain vote ne s’effectue. Il avait patienté en passant en revue tous les visages qui avaient voté contre Lysander. Si il écoutait sa colère qui remuait son estomac et son cœur, Ravelyn les aurait tous fusillé, mais cela ne lui apporterait rien d’autre que la visite de la Mort. Lysander ne reviendrait pas. Et il n’obtiendrait pas un salut très loyal… Néanmoins, il fallait qu’il en choisisse et, ironiquement, l’éventail du choix était plutôt large.

Le chagrin et la haine ne rendent pas un homme plus sage qu’il ne l’était, au contraire… Ravelyn ne voulait pas voter pour éliminer un traître, il voulait voter par vengeance.

Le soir même, Ravelyn ignora jusqu’à le vote de Kiku. Non, il en portait pas le nippon dans son cœur, il se méfiait de lui, mais il n’était pas la cible de ses préjugé pour ce soir. Il n’était pas question de doute, plus pour Ravelyn. C’était idiot, mais pouvait-il s’en rendre compte ?
Il adressa à Ludwig un sourire moqueur, rapport à Gilbert, le frère loin d’être innocent, et à la fois, un regard empli de rage.
Avec un élan de mépris, il leva son verre.

-Contre toi, Ludwig, je suppose que les explications ne seront d’aucune utilité.

Déclara Ravelyn avant de porter le verre à ses lèvres, ravalant son venin, étouffant des insultes qu’il aurait mieux craché dans un état d’ivresse. Mais il se contenta de ça pour le moment. Le gallois resta également sourd aux votes contre Elizaveta, il était bien trop abruti par la peine pour s’intéresser à quoique ce soit…

Spoiler:

Les noms s’étaient suivis et chacun d’eux avait été aussi douloureux et piquant qu’une petite aiguille que l’on enfonce dans une peau laiteuse. Et lui, lui qui n’avait aucun lien fort avec toutes ses Nations, tous ces visages, tous ces noms, se sentait tout aussi oppressé. Peut-être un peu moins et plus pour l’Organisation que pour eux, pour tous ces corps qui gisaient quelque part, sous terre, dans une boite d’où ils ne reverraient jamais la froide neige de Russie.

Si tant de camarades étaient morts, cela voulait-il dire que les restants étaient… des traitres ? Ils s’acculaient mutuellement, osant se justifier par l’ « avenir » des Boyeviks. N’essayaient-ils pas, finalement, de le duper ? De duper ceux qui, comme lui, n’avaient toujours pas mêlé leur sang à la terre ? Allait-il finir comme Lili, assassiné au coin d’une ruelle ? Le choisirait-on à tort, comme l’Italien ? Offrirait-il ainsi la victoire au camp ennemi ?

Et peut-être que dès le début, dès le moment où ils avaient sacrifié l’un des leurs, la balance s’était définitivement penchée du côté opposé, ne leur offrant rien d’autre qu’une soumission fatiguée pour certains et une tristesse hypocrite pour d’autres. Il fallait réfléchir, analyser, scruter ces visages qui lui semblaient tous ennemis. Elizaveta qui n’avait abattu que des camarades. Si elle était bel et bien l’une des leurs, que pouvait-elle bien ressentir, à savoir que ses mains étaient à tout jamais souillés par le sang de ses frères ?
Kiku gardait cet air lointain de japonais. Et plus qu’avant, cela l’agaça, comme un gamin qui aurait voulu autre chose qu’une indifférence réelle. Roderich et Ludwig restaient toujours aussi bavards, même pendant de tels moments. Alors que leurs paroles ne faisaient qu’alourdir l’atmosphère. Et leurs voix étaient plus insupportables que d’habitude.

Il n’arrivait ni à les regarder ni même à réfléchir. Il voulait juste… rentrer. Oui, voilà. Rentrer. Prendre une bonne douche, manger, boire… faire comme si de rien n’était. Dormir, aussi. Il n’aurait plus à penser à voter, à décider de la mort de l’un d’entre eux, comme s’il s’agissait d’un jeu. Un jeu qu’ils perdaient.

Pour qui allait-il voter ? Pas pour Ivan, en tout cas. Ce dernier était déjà assez visé par les autres et Alexander n’avait aucun réel sentiment envers lui. Ni haine, ni affection. Il était juste là, et il avait été choisi par les autres. Comme un enfant trop naïf qu’on choisit comme bouc émissaire, parce qu’il avait le profil, le comportement et l’attitude dont ils avaient besoin pour s’expliquer ce choix. S’il s’avérait faux, ils n’auraient qu’à pleurnicher intérieurement, comme pour les autres et se dire : « Il avait l’air tellement suspect ! ». Si c’était vrai, ils ne s’en sentiraient que plus forts, plus sûrs. Et cela pourrait leur couter cher.

Mais que pouvait-il faire ? Ses paroles n’avaient aucun écho en eux, elles sonneraient faux, creux. Ca ne servirait à rien. Il fallait juste accélérer le temps, faire vite. Fuir le plus tôt possible cette pièce qui sentait le sang, la haine, la méfiance, les larmes…

« Je vote contre Roderich. »

Un autre vote inutile, lancé en l’air comme on jette un brouillon après un examen.
De toute manière, le bouc émissaire suivant était déjà choisi. Son avis n’y changerait rien, comme toujours.

Spoiler:

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Les agents du KGB ont failli capturé quelqu'un
Le Premier Loyal a vu l'identité de quelqu'un

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Le corbeau penche la tête
Les fleurs éclosent sur la neige
Oeil blanc sur lit de pétales.

Haïku maladroit qui aurait pu servir d'épitaphe aussi bien au dernier mort qu'aux précédents, et aux suivants. Il ne restait plus que huit mafieux maladroits et bancals, huit êtres qui tanguaient dangereusement. Il suffisait d'une poussée vigoureuse pour que l'un d'eux quitte le bâteau, avant que celui-ci ne sombre complètement.

Huit petits mafieux s'en allèrent au bar
L'un d'eux but à s'en étrangler
N'en resta plus que sept.

Qui serait la victime du jour ? Colonel Moutarde, c'est à votre tour de jouer. Le colonel – hem pardon – Ludwig chercha un fantôme de réponse dans les noeuds de bois de la table. Tunisie était déjà mis hors de course, sauf s'il s'était infligé ces blessures pour être discrédité de tout soupçon. Ce serait là une action de tordue, mais qui ne l'était pas ici ? Si c'était la vérité, c'était encore là la preuve que la Brigadière ne faisait pas correctement son boulot. Ludwig avait déjà voté contre elle, réitérer sa décision pouvait faire cesser la tuerie. Ou l'accélerer.

- Hongrie.

Les autres suivraient-ils, lassés de ce huis-clos, ou chercheraient-ils à tuer pour leur propre compte, réglant ainsi leurs différends sous la couverture de la survie du groupe ? Que les pays du Nord entament la dernière danse, brisant leur couple dans des éclats de rires glacials. Que l'Autriche violente la femme qu'il avait tenu à son bras, avec la fierté de celui qui montre une pouliche bien dressée. Que l'action vienne rompre la monotonie de ce jeu.

Spoiler:

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